« L’absence de règlementation a favorisé les flux illicites existants »
En Afrique, faute de cadre règlementaire adapté, le boom de l’argent mobile a eu comme corollaire une augmentation des transactions financières illicites. Madina Adam SERE, analyste financier senior et expert consultant formateur en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, détaille les vulnérabilités de la sous-région et les projets à l’étude pour y remédier.
Dans quelle mesure l’essor du mobile money a-t-il accru les flux financiers illicites en Afrique de l’Ouest ?
Le développement des réseaux de télécommunication en Afrique de l’Ouest, même dans les régions éloignées des capitales, ainsi que les faibles coûts d’acquisition d’un appareil mobile, ont permis aux populations instruites comme illettrées d’avoir accès aux services d’argent mobile. Malheureusement, la règlementation de ce secteur a été mise en place en 2015, soit plusieurs années après le lancement de ces services dans la région. L’ absence de règlementation, de contrôle et d’entité de supervision définie ont favorisé, voire développé, les flux illicites existants, permettant même la création de nouveaux flux illicites.
Quelles sont les principales failles de gouvernance financière dans la sous-région concernant les flux d’argent dématérialisés ?
Tout d’abord, la volonté d’accroître le faible taux de bancarisation de nos pays occulte la gestion des risques afférents. Le nombre insuffisant d’études réalisées sur l’ensemble des catégories couvertes par ces flux afin de mieux comprendre les risques pour l’économie régionale et les liens avec les criminalités qu’ils favorisent, ainsi que ceux induits par de tels flux, constitue un deuxième écueil. L’instauration tardive de règlementations, qui de surcroît ne prennent que très peu en compte les facteurs de risques de croissance des criminalités en général et du blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en particulier, en représente un troisième. Pour finir, les contrôles prévus pour le bon déroulement de l’activité ne sont que partiellement effectifs.
Quel rôle peuvent jouer les outils de collecte et d’analyse du Big data dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ? Quels autres dispositifs ont prouvé leur efficacité ?
Ces outils peuvent permettre de centraliser les données et de les partager au-delà des frontières, comme le fait Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dans l’Union européenne. Ils permettent aussi de tracer les personnes à risques à travers leur identité et leurs actes criminels dans la région. Les autres dispositifs ayant déjà fait preuve de leur efficacité sont les prises d’empreintes et de photographies dans les aéroports. Les données de ces dispositifs sont importantes pour contrôler les personnes sans nécessiter un traitement secondaire.
En Afrique de l’Ouest, quels sont les pays en pointe et les projets à l’étude en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ?
La Côte d’Ivoire et le Sénégal, pour ce qui est de la lutte contre le blanchiment de capitaux ; le Niger et le Nigeria pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme et son financement. L’un des principaux projets régionaux en cours est le projet OCWAR (Organised Crime West African Response), qui se décline en trois branches : OCWAR M (blanchiment de capitaux et financement du terrorisme), OCWAR C (cybersécurité) et OCWAR T (trafic). La stratégie nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme est un projet à l’étude dans différents pays de la sous-région. Elle est notamment en cours de finalisation au Togo.
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